Pour Otaviano Canuto, le coronavirus a plongé les pays en développement “en pleine tempête” (inc. English version)

 

Telquel – 1 mai 2020

Le Covid-19 a plongé l’économie mondiale dans un Grand Confinement, pour reprendre l’expression du FMI. En peu de temps, les pays ont été touchés les uns après les autres par l’épidémie du nouveau coronavirus, chacun d’entre eux étant confronté à un triple choc : épidémiologique, économique et financier. En plus de devoir faire face à la propagation du virus du coronavirus dans leur propre pays, les pays émergents et en développement se sont trouvés à devoir gérer des chocs supplémentaires provenant de l’étranger. On peut dire qu’une véritable tempête s’est abattue sur eux.

La crise du coronavirus est avant tout une question de santé publique, qui exige des politiques de confinement qui entraînent inévitablement des chocs pour l’activité économique. L’une des principales raisons du confinement est l’idée largement répandue selon laquelle, compte tenu de la dynamique de l’infection et du nombre correspondant de personnes ayant besoin de soins cliniques, les capacités locales de soins cliniques risquent d’être submergées, avec un nombre de décès plus élevé, dans un scénario de « statu quo ». Par conséquent, les politiques visant à aplatir la courbe de la pandémie et à gagner du temps – comme les recommandations ou les ordres de « distanciation sociale » et de « rester chez soi » – deviennent vitales, qu’elles réduisent ou non le nombre absolu de cas infectés.

La courbe de la pandémie génère une courbe de récession qui doit également être aplatie. La nouvelle pandémie de coronavirus a entraîné à la fois des chocs d’offre et de demande négatifs pour l’économie. Si la demande et l’offre devaient de toute les façons être affectées négativement dans un scénario de statu quo, l’impact tend à être exacerbé par les politiques de distanciation sociale.

Malgré sa durée plus courte, la nature perturbatrice du confinement économique peut laisser des « cicatrices », empêchant un retour au point où l’économie se trouvait avant le choc. Des entreprises solvables mais soudainement dépourvues de liquidités peuvent se retrouver en faillite, le chômage augmente rapidement, la demande et les revenus des petites entreprises fondent rapidement…

C’est là qu’intervient le rôle extraordinaire de l’État en tant qu’assureur contre les catastrophes, qui fournit un soutien budgétaire – ressources supplémentaires pour les systèmes de santé, transferts de revenus aux personnes touchées par la crise, allégements fiscaux – et des crédits disponibles à des conditions favorables pour les entreprises vulnérables. Ces mesures d’urgence et temporaires, dont la forme de financement est la dette publique croissante, sont destinées à minimiser les conséquences perturbatrices de l’arrêt temporaire brutal et profond de l’économie.

L’aplatissement des courbes d’infection par le coronavirus et de récession dans les économies en développement sera probablement plus difficile que dans les pays avancés. Le nombre de lits de soins cliniques par habitant est plus faible. Les politiques de distanciation sociale sont plus difficiles à mettre en œuvre étant donnée la proportion de la population vivant dans des taudis. La part de l’emploi informel est plus élevée sur le marché du travail, ce qui rend difficile l’extension des politiques de protection sociale, comme l’assurance chômage ou les transferts de revenus. La marge de manœuvre budgétaire des politiques visant à contrer l’impact négatif du coronavirus et du confinement de l’économie est plus réduite, en particulier dans le cas des pays en développement qui ont récemment contracté des dettes publiques.

Au-delà des difficultés rencontrées au niveau national pour aplatir les courbes d’infection et de récession liées au coronavirus, les pays en développement ont dû faire face à des chocs supplémentaires provenant de l’étranger.

La pandémie et les aspects économiques de la dynamique du coronavirus ont provoqué des chocs sur les marchés financiers des pays avancés. Les perspectives de détérioration des bénéfices et d’incertitude accrue ont conduit à un large transfert de portefeuille des actifs à risque vers les valeurs refuges que sont les bons du Trésor américain à court terme.

La recherche de sécurité suscitée par l’incertitude et la peur a entraîné une forte vague de sorties de capitaux des économies en développement et la dépréciation de leurs monnaies. Selon l’Institute of International Finance (IIF), les investisseurs étrangers ont retiré près de 100 milliards de dollars US des marchés émergents en mars, soit la plus importante sortie de capitaux jamais enregistrée.

Par ailleurs, les prix des produits de base, le tourisme et les transferts de fonds se sont effondrés.

Prenons les envois de fonds. Les travailleurs étrangers sont souvent les premiers à perdre leur emploi en temps de crise et la Banque mondiale prévoit que les envois de fonds des migrants vers leur pays d’origine diminueront de plus de 100 milliards de dollars US cette année. Le blocage de l’économie mondiale, qui a provoqué de fortes pertes d’emplois dans le monde entier, devrait entraîner une baisse de 20 % des envois de fonds vers les pays à revenus faibles et intermédiaires. Cela équivaut à un recul de 554 milliards de dollars US l’année dernière, un record, à 445 milliards de dollars US en 2020.

L’année dernière, les envois de fonds ont représenté environ 8,9 % du PIB dans les pays plus pauvres. Pour la première fois, ils ont dépassé les investissements directs étrangers (IDE) en tant que source d’entrées d’argent dans les pays à revenus faibles et intermédiaires. Les IDE devraient diminuer encore plus que les envois de fonds, ce qui reflète les récessions locales et la perturbation du commerce international. Le rapport de la Banque mondiale estime que les IDE dans les pays à revenus faibles et intermédiaires pourraient chuter de plus de 35 %. Les flux de portefeuilles privés sur les marchés boursiers et obligataires pourraient diminuer de plus de 80 % et les niveaux d’aide publique au développement (APD) ne sont pas assez importants pour compenser ces baisses.

Les recettes du tourisme international chutent également. L’Organisation mondiale du tourisme (OMT) des Nations unies estime que les arrivées de touristes internationaux diminueront de 20 à 30 % en 2020, par rapport aux chiffres de 2019. Cela se traduirait par des pertes de recettes du tourisme international de 300 à 450 milliards de dollars, soit près d’un tiers des 1.500 milliards de dollars US générés en 2019. Selon les données de la Banque mondiale, les pays à revenus faibles et intermédiaires ont enregistré plus de 420 milliards de dollars US de recettes touristiques internationales en tant qu’exportations l’année dernière et seront fortement touchés par la baisse en 2020.

Le choc économique mondial provoqué par la pandémie a également entraîné une baisse des prix de la plupart des produits de base et devrait se traduire par une baisse substantielle des prix en 2020. En raison de l’arrêt des activités économiques, les marchés mondiaux des produits de base devraient rester déprimés pendant les mois à venir. Les économies des marchés émergents et en développement dépendantes des produits de base seront parmi les plus vulnérables aux conséquences économiques de la pandémie.

La plupart des prix des denrées alimentaires ont baissé en réponse aux mesures d’atténuation visant à contenir la propagation du COVID-19. Les prix du riz sont la seule exception majeure, car ils ont augmenté après l’annonce de restrictions à l’exportation par certains producteurs d’Asie de l’Est.

L’impact le plus important de l’apparition du COVID-19 s’est fait sentir sur le marché du pétrole brut, dans la mesure où les deux tiers du pétrole sont utilisés pour le transport. L’importante réduction de la production par l’OPEP et d’autres producteurs de pétrole n’a pas réussi à faire remonter les prix en avril.

La combinaison des chocs extérieurs – financiers, envois de fonds, tourisme et prix des matières premières – et des difficultés intérieures à aplatir les courbes d’infection au coronavirus et de la récession, a façonné ce que l’on pourrait appeler une « véritable tempête » s’abattant sur les pays en développement, provoquée par le COVID-19. Espérons et prions pour qu’elle nous quitte bientôt et ce, définitivement.

Otaviano Canuto est senior fellow au Policy Center for the New South et ancien vice-président de la Banque mondiale et directeur du Poverty Network (PREM), une division de plus de 700 économistes et autres professionnels travaillant notamment sur ​​la politique économique, la réduction de la pauvreté et l’égalité des sexes. Il a également été directeur exécutif du Conseil de la Banque mondiale de 2004 à 2007 et de 2016 à 2019 et directeur exécutif du Conseil du Fond Monétaire internationale de 2015 à 2016. Il a également occupé des postes de vice-président à la Banque interaméricaine de développement et est professeur d’économie à l’Université de São Paulo et à l’Université de Campinas au Brésil. 


 

Coronavirus brought a perfect storm to developing countries

Covid-19 has submitted the global economy to a Great Lockdown, as the IMF called it. In a short time, country after country has suffered outbreaks of the new coronavirus, with each facing a three-fold shock: epidemiologic, economic, and financial. In addition to dealing with their own local coronavirus outbreaks, emerging market and developing countries have faced additional shocks from abroad. It may be said that a perfect storm has fallen on them.

The coronavirus crisis is primarily a public health issue, demanding containment policies that inevitably lead to shocks to economic activity. A major reason for containment is the widespread perception that, given the dynamics of infection—and corresponding numbers of people in need of clinical care—local clinical care capacities risk being swamped, with higher death tolls, in a ‘do-nothing’ scenario. Therefore, policies to flatten the pandemic curve and gain time – such as “social distancing” and “stay-at-home” recommendations or orders – become vital, regardless of whether they reduce the absolute number of infected cases.

The pandemic curve generates a recession curve that also needs to be flattened. The new coronavirus pandemic has led to both negative demand and supply shocks to the economy. While demand and supply would in any case be negatively impacted in a do-nothing scenario, the impact tends to be exacerbated by social distancing policies.

Notwithstanding its shorter duration, the disruptive nature of the economic lockdown may leave ‘scars’, impeding a return to the point the economy was at prior to the shock. Solvent but suddenly illiquid firms may go bankrupt, unemployment rises rapidly, demand and revenues for small businesses rapidly vanish…

That’s where an extraordinary role of the state as a catastrophe insurer comes to the fore, providing fiscal support—additional resources for healthcare systems, income transfers to crisis-affected people, tax relief—and credit available at favorable conditions to vulnerable firms. These emergency and temporary measures, with rising public debt as the form of finance, are geared to minimize the disruptive consequences of the temporary but deep sudden stop of the economy

Flattening both the coronavirus infection and the recession curves in developing economies is likely to be harder than in advanced countries. Numbers of clinical-care beds per capita are lower. Social distancing policies are harder to implement given the shares of population living in slums. The share of informal occupancy in the labor market is higher, making it difficult to extend social protection policies, such as unemployment insurance or income transfers. Fiscal space for policies to counter the negative impact of the coronavirus and of the economic lockdown is smaller, particularly in the case of developing countries that have indulged in public indebtedness in the recent past.

On top of domestic challenges to flatten coronavirus curves of infection and recession, developing countries have been facing additional shocks from abroad.

The pandemic and economic aspects of the coronavirus dynamics triggered shocks to financial markets in advanced countries. The prospects of deteriorated earnings and heightened uncertainty have led to a broad portfolio switch from risky assets to the safe haven of U.S. short-term Treasuries.

The search for safety sparked by uncertainty and fear has led to a strong wave of capital outflows from developing economies and depreciation of their currencies. According to the Institute of International Finance (IIF), foreign investors took close to US$100 billion out of emerging markets in March, the largest capital outflow ever recorded.

Furthermore, commodity prices, tourism, and remittances have collapsed.

Take remittances. Foreign workers are often the first to lose their jobs in times of crisis and remittance flows around the world sent by migrants to their home countries are forecast by the World Bank to shrink by more than US$100 billion this year. The global economic lockdown, which has provoked steep job losses across the world, is expected to lead to a 20% decline in remittance flows to low- and middle-income nations. That equals a fall from a record US$554 billion last year to US$445 billion in 2020.

Last year, remittances amounted to about 8.9% of GDP in poorer countries. For the first time, they overtook foreign direct investment (FDI) as a source of money inflows to low- and middle-income countries. FDI is expected to decline by even more than remittances, reflecting local recessions and disruption of international trade. The World Bank report estimates that FDI into low- and middle-income countries could fall by more than 35%. Private portfolio flows through stock and bond markets could shrink by over 80%, while official development assistance (ODA) levels are not large enough to compensate those declines.

International tourism receipts are also falling. The United Nations World Tourism Organization (UNWTO) estimates a decline of 20% to 30% in 2020 of international tourist arrivals, compared to 2019 figures. This would translate into a loss of international tourism receipts of between US$300 billion to $450 billion, almost one third of the US$1.5 trillion generated in 2019. According to World Bank data, low- and middle-income countries recorded over US$420 billion of international tourism receipts as exports last year and will be heavily affected by the decline in 2020.

The global economic shock of the pandemic has also driven most commodity prices down and is expected to result in substantially lower prices over 2020. Because of the halt in economic activities, the world’s commodity markets are likely to continue to be downbeat for months to come. Commodity-dependent emerging market and developing economies will be among the most vulnerable to the economic impacts of the pandemic.

Most food commodity prices have declined in response to mitigation measures to contain the spread of COVID-19. Rice prices are the only major exception, as they rose after announcements of export restrictions by some East Asian producers.

The greatest impact of the outbreak of COVID-19 has been on the crude oil market, as two-thirds of oil is used for transport. The large production cut by OPEC and other oil producers failed to lift prices in April.

The combination of external – financial, remittances, tourism, and commodity prices – shocks and domestic hardships to flatten coronavirus curves of infection and recession has configured what one may call a ‘perfect storm’ falling on the developing world, brought by COVID-19. Let’s hope and pray for it leaving us for good soon.

 

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